Avec la data et l’IA, IBM espère inverser la courbe de baisse de ses effectifs en France
Ridha Loukil Publié le 10/10/2018 À 08H09
Engagé dans une lourde transformation, IBM continue à débaucher et embaucher à la fois pour adapter ses compétences en France, avec un bilan d’emplois jusqu’ici négatif. Mais le géant américain de l’informatique mise sur sa mutation en une société de la data et de l’intelligence artificielle pour finir par inverser la courbe.
Le cycle infernal d’érosion de l’emploi d’IBM en France va-t-il prendre fin ? Nicolas Sekkaki, président du groupe informatique américain dans l’Hexagone, l’espère. "Mon objectif n’est pas de réduire l’effectif, affirme-t-il lors d'un déjeuner de presse organisé le 9 octobre en marge de son évènement annuel ThinkParis. Je veux mettre les bonnes compétences aux bons endroits. J’espère aboutir au bout du compte à des créations nettes d’emplois."
Des plans sociaux qui se succèdent
Depuis plus de cinq ans, IBM est engagé dans une lourde transformation pour adapter ses compétences et ses effectifs aux nouveaux métiers du numérique. "Nous entrons dans la révolution de la data et de l’intelligence artificielle, affirme Nicolas Sekkaki. Nous sommes
à un point d’inflexion du marché où le modèle des GAFA atteint ses limites. Les entreprises recherchent d’autres acteurs pour les aider
à valoriser leurs données. Aujourd’hui, 80% des données résident dans des entrepôts privés inaccessibles aux moteurs de recherche. Ce sont ces données qu’IBM propose aux entreprises de gérer et traiter pour en extraire de la valeur." L’acronyme GAFA désigne quatre géants du numérique : Google, Amazon, Facebook et Apple.
IBM ne se contente pas d’accompagner ses clients dans cette transformation. "Nous appliquons à nous-mêmes les changements que nous leur préconisons, martèle Nicolas Sekkaki. Et nous leur faisons bénéficier de cette expérience. Cela les rassure car, au fond, nous sommes comme eux confrontés aux mêmes challenges." L’ampleur de la transformation est inouïe. "Il y a quinze ans, les matériels représentaient 65% de notre chiffre d’affaires mondial, explique le PDG. Aujourd’hui, ils ne représentent plus que 9%. Entre temps, 91% de notre portefeuille de produits et services a changé."
Depuis de longues années, IBM enchaine les plans sociaux en France pour réduire la voilure dans les métiers traditionnels en déclin comme les services autour de l’infrastructure, cannibalisés par la migration vers le cloud computing. Selon la CGT, le groupe a supprimé plus de 2 800 postes sur les cinq dernières années, ramenant son effectif dans l’Hexagone en dessous des 7 000 personnes.
Création de 400 emplois dans l'IA en 3 ans
Mais dans le même temps, IBM embauche à tour de bras pour conforter ses compétences dans cinq métiers clés de la transformation numérique : les réseaux sociaux, les mobiles, le big data et l’analytique, le cloud computing et la cybersécutité. La PDG Ginni Rometty a fait de ces fameux SMACS (social, mobility, analytics, cloud, security) le fer de lance de la transformation du groupe au niveau mondial. Pour la première fois, ils ont représenté plus de 50% du chiffre d’affaires global au deuxième trimestre 2018.
Lors du sommet "Good for Tech" organisé en mai 2018 par le président Emmanuel Macron, Ginni Rometty a promis de créer 1 800 emplois en France en trois ans, dont 400 dans les métiers liés à l’intelligence artificielle. Une annonce dénoncée par les syndicats comme un coup de communication. Car le groupe, qui venait de supprimer 94 postes par rupture conventionnelle collective dans l’Hexagone, prévoit dans le même temps la destruction de 900 à 1 800 emplois de 2018 à 2020, dans le cadre du plan triennal de l’accord Gpec (Gestion prévisionnelle de l’emploi et des compétences) conclu entre la direction et les syndicats, à l’exception de la CGT.
"Nous avançons dans le plan d’embauche de 400 personnes dans l’intelligence artificielle, se vante Nicolas Sekkaki. Nous avons déjà embauché 120 personnes depuis le début de l’année, et le chiffre devrait passer à 200 à la fin de l’année. Et nous nous préparons à inaugurer notre centre de recherche fondamentale sur le plateau de Saclay avec 30 personnes cette année, puis 250 personnes dans deux ans."
Projet de création d'un centre de recherche à Saclay
IBM ne faisait jusqu’ici en France que de la recherche appliquée avec 600 personnes. Son investissement sur Saclay vise à profiter d’un écosystème combinant sur place des labos publics, des écoles d’ingénieurs et de gros industriels. Le groupe veut doubler ses équipes dans le conseil de façon à ce qu’elles représentent 20 à 25% des effectifs, comme c’est déjà le cas au niveau mondial. L’idée est d’adapter l’accompagnement aux entreprises secteur par secteur, car "l’intelligence artificielle pour la banque est différente de l’intelligence artificielle pour l’industrie manufacturière", estime Nicolas Sekkaki. Une partie de ces nouvelles recrues iront sur le futur site à Saclay pour favoriser la co-innovation.
IBM veut se différencier également par sa proximité. "Nous avons 19 implantations sur le territoire français, se targue Nicolas Sekkaki. Nous avons ouvert notre centre de services numériques à Lille au début de l'année. Il compte aujourd’hui 600 personnes, dont la moitié recrutée après formation de 3 à 6 mois de chômeurs inscrits à Pôle Emploi. Nous allons dupliquer ce type d’implantation dans d’autres villes." Mais la CGT fait remarquer que ces emplois créés sont différents de ceux supprimés et se distinguent par des niveaux de salaires deux fois inférieurs.